Le GIEC fête ses trente ans. Qu’est-ce qui a motivé sa création à la fin des années 80 ?

C’est le G7 qui a décidé de créer le GIEC. En réalité, il est très lié à la communauté scientifique qui avait fait le lien entre le réchauffement climatique et l’activité humaine. Depuis une dizaine d’année, elle travaillait sur ce sujet et même avant pour certains comme le suédois Bert Bolin [Premier Président du GIEC jusqu’en 1997, il a publié dès les années 60 des travaux sur les dangers du CO2, Ndlr] qui a beaucoup œuvré pour la création du GIEC.

Aujourd’hui, le lien entre l’activité humaine et le réchauffement climatique n’est plus contestable ?
Au cours des deux cents dernières années, les émissions de gaz carbonique ont augmenté de 40%, et celles du méthane ont doublé. Il n’y a pas de doute sur le lien entre la hausse des émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’activité humaine. Or les gaz à effet de serre sont les principaux responsables  du réchauffement climatique. Il faut donc prendre des mesures extrêmement rapidement.

Les émissions de GES baissent dans certaines régions du monde ?
C’est vrai en Europe et aux Etats-Unis pour les émissions de gaz carbonique. En Chine, elles s’étaient stabilisées ces dernières années, mais elles sont reparties à la hausse en 2017. Surtout, les concentrations de GES dans l’atmosphère n’ont jamais enregistré une croissance aussi rapide.

L’objectif des +1,5°C annoncé à Paris lors de la COP 21 en décembre 2015, est-il donc complètement illusoire ?
Très difficile. Pour rester en dessous de 1,5°C, cela signifie qu’il faudrait limiter l’utilisation des énergies fossiles à quelques années. Même pour ne pas dépasser 2°C, il faudrait arrêter de brûler des énergies fossiles dans une vingtaine d’années. On s’en rapproche très vite. Pour cela, il faut agir sur tous les leviers, réduire les émissions liées à l’agriculture, investir massivement dans les énergies renouvelables, les économies d’énergie. C’est un choix politique très fort et créateur d’emplois.

C’est le sens du livre que vous avez récemment écrit avec Pierre Larrouturou, « Pour éviter le chaos climatique et financier ». Arriver-vous à convaincre les dirigeants européens ?
On a été au Comité économique et social européen. On rencontre du monde, on a une certaine écoute. Le 15 mars, avec le Pacte Finance Climat, Pierre Larrouturou organise une grande conférence à la maison de l’Unesco sur le thème « Et si l’Europe décidait de mettre la finance au service du climat ? » Quand parle de 1000 milliards d’euros pour l’Europe, ce sont des investissements rentables et créateurs d’emplois. Au niveau mondial, il faudrait 6000 milliards d’euros. Il faut piéger et stocker le carbone en sortie de centrales, développer la biomasse, engager la reforestation,…

Admettons que l’Europe accepte de mettre en application votre pacte, elle ne représente qu’une petite partie des émissions de GES. Vous croyez qu’il est possible de convaincre tout le monde ?
L’Europe représente 10% des émissions de gaz à effet de serre, ce  n’est pas négligeable. Il faut bien que quelqu’un commence et cela entraînera une bonne dynamique. C’est inéluctable. Il faut passer à une société sobre en carbone. Il faut aller au-delà de l’Accord de Paris et très vite.

Sans quoi les dommages seront irrémédiables ?
Si on atteint 1,5°C dans 20 ans, 2°C dans 40 ans, les populations vont se révolter, car elles vont comprendre que l’on va dans le mur avec des évènements climatiques de plus en plus extrêmes.

Après il sera trop tard ?
C’est un vol sans retour.https://www.usinenouvelle.com/article/30-ans-du-giec-le-rechauffement-climatique-est-un-vol-sans-retour-previent-jean-jouzel.N665989